Abstract : Oser se libérer des passions malencontreuses,
rendre ses désirs, sa volonté et son âme
conformes à la raison ; faire preuve d’humanisme et être prêt à
toute éventualité, tels sont les ‘’préceptes’’ que nous lèguent les stoïciens
pour éprouver la fleur du bonheur et mener une vie ataraxique.
Être heureux, la belle affaire ! Tout le monde le désire, le bonheur. Aujourd’hui encore plus qu’hier, en
ces temps d’adversité où l’humeur se
fait grisâtre, les passions se déchainent et l’angoisse monte de plus en plus, Il
est d’une grande urgence, d’une très grande
utilité, morale et intellectuelle, d’apaiser nos âmes ébranlées et
malmenées. ‘’ Apaiser nos âmes ‘’, voilà un gros mot qu’il faut
décortiquer et passer au crible à la lumière des penseurs antiques. Pour ce
faire, je vous convie à découvrir ou à revisiter les réflexions des stoïciens
qui ont disséqué avec un géni inégalable
les intermittences du cœur et les grandes questions qui ont taraudé l’esprit de
l’humanité.
Guérir les « maladies de l’âme », tel est l’enjeu de la
philosophie antique. Se libérer des passions, ainsi parlait Cicéron, grand
adepte de la philosophie stoïcienne et
fin connaisseur des écueils de la vie, lui qui a perdu sa fille tant
aimée, Tullia et écarté de la sphère politique après la prise du pouvoir de César.
La philosophie est donc son dernier
recours. La tonalité stoïcienne de ses
textes, notamment Les Tusculanes[1],
est claire : le bonheur ne peut
échoir, en aucun cas, qu’un homme qui s’est libéré des passions. Le bien suprême,
est de pouvoir faire de son âme « une forteresse » imprenable, car
toute entière installée dans la vertu. Cette dernière implique deux
qualités : D’une part, la constance devant l’adversité qui
suppose la prévoyance. Autrement dit, l’homme doit faire preuve d’anticipation
et de prudence de tous les maux
possibles, de manière à ne pas être
surpris par eux. D’autre part, la suppression radicale des passions.
Inspiré des stoïciens, Cicéron parle de deux « sources des
passions » que sont la joie
démesurée qu’on ambitionne à l’apparition supposée d’un bien, et le sentiment
du chagrin et de la peur qu’on éprouve à l’idée d’un mal potentiel.
On reconnait aussi à Cicéron, d’avoir
fait de la raison, et là il rejoint la pensée des Lumières au XVIII siècle, le
bien le plus précieux de l’homo sapiens, faute de quoi l’homme ne peut éprouver la
fleur du bonheur.
Cicéron fait donc de la passion la source de nos maux. Celle-ci
s’insinue en nous comme jugement, et ce, grâce à notre assentiment.
Seule la raison est capable d’évincer ces mouvements irrationnels qui accèdent
à notre âme et ne sauraient entraîner que le malheur et les mauvaises actions.
Dans la même lignée, Sénèque adhère à ce que professe Cicéron, en cela
qu’il lie le bonheur à la vertu et donne
à la raison ses lettres de noblesse. Son ouvrage La vie heureuse est
bel et bien un hymne à la joie qui naît de l’harmonie de l’âme, ce qu’il
appelle la ‘’concordia animi’’, c’est-à-dire l’âme en paix avec elle-même. Le bonheur est
subordonné à la raison, qui doit chasser et éradiquer les passions, ces « mouvements éphémères
du corps »
Sénèque nous donne de précieux conseils pour savoir saisir au vif le
bonheur et le rendre à portée de mains. Des conseils qui trouvent des échos
dans notre quotidien, notamment cette période de confinement qui est une aubaine
pour savoir se détacher de ces
biens superflus et de pouvoir
revenir à soi et se regarder dans le miroir. Pour délecter et intensifier notre
sentiment du bonheur, il va falloir faire preuve d’humanisme, d’affabilité et
se soucier de ses semblables. Ces qualités philanthropiques, constituent le centre
névralgique de la pensée stoïcienne. Sauf que, et pour ne pas tomber dans une pensée
austère et acétique qui verse dans l’autoflagélation, le souci de l’autre doit
passer impérativement par le souci de
soi, au sens le plus noble du terme, car on ne pas aider l’autre si on n’a pas
la capacité de se soucier et prendre soin de soi, sorte de débordement et de
dépassement de soi, appellerai-je volontiers . En témoigne Les Lettres à
Lucilius[2],
longue correspondance écrite par Sénèque, visant à aider son jeune ami aspirant
au bonheur des stoïciens, après être passé par l’épicurisme.
Presque les mêmes idées sont partagées par l’empereur romain Marc Aurèle,
un des illustres représentants de la philosophie stoïcienne. Il rappelle que le
bonheur n’est pas tributaire des biens extérieurs. La peine et la douleur qu’elles
provoquent nous suivent aussi loin qu’on fasse retraite, le seul issu pour les
esquiver est de rentrer en soi-même, « faire de soi une citadelle
imprenable » disait Marc Aurèle. C’est ainsi qu’il il faut juguler ses jugements
aussi bien que ses désirs et les soumettre
à la raison. Pour être heureux, il faut non seulement chasser toute illusion, agir
avec générosité, justice et justesse, mais aussi il faut anticiper les malheurs
qui peuvent nous surprendre et tomber sur nous comme un couperet : « dès
l’aurore, atteste Marc Aurèle, dis-toi : « je rencontrerai un indiscret,
un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un associable… »[3]
. Finalement, force est de se rappeler tous les défunts, ceux qu’on a inhumés, et
imaginer sa propre fin, choses qui devraient pousser à donner le meilleur de
soi-même.
Bref, après cette villégiature dans la pensée stoïcienne, actualisée par
les moments durs que nous traversons, j’aimerais bien boucler la boucle par une
phrase de Diogène le cynique. Ce dernier n’a-t-il pas dit que le malheur vient de l’absence de
discipline ? Soyons donc disciplinés, respectons les mesures
prophylactiques et ayons l’esprit de l’anticipation comme disait Diogène :
« je suis prêt à toute éventualité »[4]
ISSAM HALOUI
[1]
Cicéron, Tusculanes (Ive TUSCULANE), Traduction Chantal, Labre, édition ARLEA,
1996.
[2]Sénèque,
Lettres à Lucilius (IV) TRADUCTIONS ORIGINALES.
[3]
Marc Aurèle, pensées pour moi-même (III,5), Traduction (modifiée) Jules
Barthélemy Saint-Hilaire, 1876.
[4]
Diogène Laërte, Vies et Doctrines des philosophes illustres, In les cyniques
grecs : Frayements et témoignages, Traduction Léonce Paquet. Librairie
générale française, 1992 ;
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